Silence, on tue!
Profonde
tristesse, et colère aussi, en apprenant ce jour l'assassinat d'Anna
Politkovskaïa, journaliste russe, mère de deux enfants aussi, qui a
mené une lutte sans égal pour dénoncer la situation en Tchétchénie où
elle était l'une des rares à se rendre régulièrement. D'après ce que
j'ai pu lire dans Le Monde (apparemment la nouvelle fait quand même la
une en Europe!), elle venait d'écrire pour son journal Novaïa Gazeta
(le seul d'opposition en Russie) un compte rendu sur les exactions
monstrueuses commises par le vice-premier ministre tchétchène Ramzan
Kadyrov, homme absolument fou qui agit dans l'impunité la plus totale
sans perdre pour autant l'appui de Poutine. Elle préparait également un
article sur les tortures en Tchétchénie. Elle avait publié plusieurs
livres, dont Voyage en Enfer, Journal de Tchétchénie et tout récemment
La Russie selon Poutine. Il est à souhaiter qu'elle ne soit pas morte
pour rien, et que cet assassinat qui semble susciter de vives réactions
dans le monde enraye la complaisance habituelle de nos gouvernements
envers la politique menée par Poutine dans le Caucase.
Ok, le ton
est politique aujourd'hui, mais je ne peux bien sûr me montrer
totalement indifférente à l'actualité et continuer, même à des milliers
de miles, à parler maison et jolis avions alors qu'en 2005, comme vous
le savez, j'ai lancé au moment de l'ouverture de la première Biennale
de Moscou, la Biennale de l'Urgence en Tchétchénie qui continue à
tourner (www.emergency-biennale.org),
qui est depuis un peu toute ma vie, et qui devient aussi plus
urgente que jamais, comme certains ont pu me l'écrire. J'ai tout à
l'heure envoyé un long pli à Glucksmann de qui je recevais un
communiqué, et bien sûr aux amis Tchétchènes, afin de rassembler autant
qu'il se peut les énergies et démarches travaillant dans le même sens.
Je crains beaucoup pour la vie d’autres femmes qui comme Anna
démontrent tant de courage en poursuivant leurs luttes tout en vivant
encore sur le sol russe. À la guerre, aussi abjecte et barbare
soit-elle, on ne peut répondre par la violence de la guerre, ni même
par la résistance en solitaire, mais bien sans doute par la force d’une
communauté de pensées et d’actions qui puisse faire écho pour
l’impulsion du vrai changement, autrement dit pour la dignité humaine,
l'optimisme créatif et la liberté droite et juste pour chacun. C'est ce
que je pense en tout cas. Et quand on travaille dans l'art, rare
domaine où l'on puisse encore user de la libre expression pour parler
du monde, alors il en va sans doute aussi de notre responsabilité de
tenter ensemble d'agir pour ceux qui ne peuvent pas ou plus s'exprimer.
Bon,
en ce moment je ne lis pas Baudelaire, ni Kerouac, pour répondre aux
commentaires, mais Martin Luther King : The Strength to Love, car même
s'il a lui aussi été tué pour avoir trop parlé de liberté, l'injustice,
l'iniquité, l'oppression, la discrimination, la barbarie, la terreur,
mais aussi l'indifférence, font encore la honte du 21ème siècle… Let's
have a dream… et paix pour Anna.